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Hervé Bouchard
Parents et amis sont invités à y assister

Hervé Bouchard
Mailloux

Renée Gagnon
Des fois que je tombe

Fabrice Bothereau
Pan-Europa

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mEat

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Sombre les détails

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White Trash Napoléon

Ludovic Bablon
Scènes de la vie occidentale

Alban Lefranc
Attaques sur le chemin...

Àlain Farah
Quelque chose se détache du port


Mailloux
Hervé Bouchard

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Benoit Jutras
Paru dans Voir, 4 mai 2006

« Paru à l'Effet pourpre en 2002, Mailloux se voit aujourd'hui réédité par Le Quartanier. Roman initiatique mettant en scène le jeune Jacques plongé dans les vertiges quotidiens de l'enfance tout en nous épargnant rigoureusement les clichés du genre, Mailloux est une somme frondeuse et délicieusement atypique dans la littérature francophone. Pour qui aime lire sa langue bousculée, rythmée à la baguette, transmuée en une langue sauvage gorgée de trouvailles, Mailloux est le livre. Le tout est signé Hervé Bouchard, dont le second ouvrage vient également de paraître, à la même adresse : Parents et amis sont invités à y assister. Éd. Le Quartanier, 2006, 185 p. »

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Textes parus sur la première édition de Mailloux (L'Effet pourpre, 2002)
par Stéphane Lépine, Catherine Morency et David Cantin

HERVÉ BOUCHARD : DES HISTOIRE À N'EN PLUS FINIR...
Par Stéphane Lépine

Texte tiré de Paysage avec figures, 2003

« Rares sont les livres qui sont de véritables attentats à la lecture, qui violent le sens et rompent le pacte tacite de non-agression entre l'auteur et le lecteur. Pour mieux annuler leur caractère atypique, on classe souvent ces textes comme difficiles à lire autant qu'à vivre. Mailloux, histoires de novembre et de juin racontées par Hervé Bouchard citoyen de Jonquière (éditions de l'Effet pourpre, 2002) est de cette trempe. C'est un objet tout à la fois dangereux et fascinant, quelque chose d'obscur et de beau, une énigme bombée signée par un inconnu. On ne sait de ce Hervé Bouchard que ce qui apparaît en quatrième de couverture de ce bel objet-livre (fait suffisamment rare pour que l'on prenne la peine de le souligner) : qu'il est né en 1963, qu'il est professeur de lettres au Cégep de Chicoutimi, qu'il est en effet « citoyen de Jonquière » et que Mailloux est son premier livre. On a peine à le croire. Actuellement, la notoriété de cet écrivain hors du commun ne dépasse pas un cercle réduit de lecteurs avisés (même si le premier tirage s'est envolé à une vitesse folle, nous apprend l'éditeur). Le Devoir a bien publié deux recensions (signées Catherine Morency et David Cantin) et Lise Bissonnette a salué en lui l'un des écrivains les plus injustement méconnus de sa génération, mais il n'en demeure pas moins que la stupéfiante entrée en scène de cet écrivain hors du commun n'a pas reçu toute l'attention qu'elle mérite. Hervé Bouchard est pourtant à mes yeux LA révélation littéraire des dernières années au Québec. En un seul livre, qui égale en jubilation les premiers romans de Victor-Lévy Beaulieu ou ce chef-d'oeuvre injustement méconnu qu'est Les Masques de Gilbert Larocque, qui n'est pas même sans rappeler Réjean Ducharme, Hervé Bouchard s'impose et impose le plus grand respect.

« On a fait l'histoire ensemble [...] on joue à faire une histoire alors j'appelle les mots comme si j'étais un écrivain qui se dispose comme ça pour les accueillir, ça n'a pas d'importance, il faut seulement se mettre en position instable pour que les mots on les entende mieux, et là on part et on fait l'histoire dans le même esprit mais à l'endroit. »

À l'enseigne de Samuel Beckett, dont un extrait de ses Textes pour rien est cité sur la jaquette, Mailloux, un certain Jacques Mailloux, se raconte : « J'ai été Jacques Mailloux, comédien de naissance, enfant sans drame, dehors tout le temps. Raconte. » Et c'est ce qu'il fait : il se raconte, raconte des histoires d'enfance et d'adulterie, des histoires de novembre et de juin, des histoires à n'en plus finir. Animé d'un indéracinable sentiment de mortalité, l'enfantôme qui se raconte et se remet au monde à chaque fiction qu'il engendre est un personnage beckettien, à cette différence majeure que l'oeuvre qu'il met au monde (et qui le maintient en vie, car il y a de la Schéhérazade en lui) est marquée non pas par la rétention et l'épuisement progressif, par cette recherche beckettienne d'un rien qui le délivrerait de tout, mais, tout au contraire, par une profusion (et même un carnavalesque, parfois) digne de Carlos Fuentes et de Salman Rushdie. Inscrit comme malgré lui dans le texte d'une histoire sans cesse réinventée et en mouvance, et alors qu'autour de lui se forme un réseau touffu et inextricable de voix et de présences (imagination morte imaginez, dirait encore Beckett), Mailloux, à la fois sujet et objet de ses histoires, tente de vaincre sa désorganisation constitutive, le tumulte bruyant et discordant des fictions qui le composent pour enfin parvenir à dire je, à faire le décompte final de ce qu'il aura dû traverser et vaincre pour réussir à se conjuguer à la première personne. « Quel chemin terrible il m'aura fallu parcourir pour parvenir jusqu'à toi », déclarait un personnage de Robert Bresson. Quels chemins terribles il m'aura fallu emprunter, quelles histoires terribles il m'aura fallu inventer pour parvenir jusqu'à moi, proclame à sa manière Mailloux.

« Ce qui n'est pas entendu n'existe pas », dit-il. Aussi ce Mailloux (mais peut-être devrait-on parler de lui au pluriel? Après tout, Mailloux s'écrit avec un x!)... aussi Mailloux doit-il tout dire, tout nommer, tout faire entendre, tout raconter, pour enfin exister. Bouchard va ainsi jouer avec le roman dans le roman, topique du XXe siècle qu'il démultiplie ainsi jusqu'à plus soif et qu'il complète du thème de la venue à l'écriture : comme La Recherche proustienne, qui se termine au moment où le narrateur peut enfin entamer l'écriture de la cathédrale romanesque que nous venons de lire, Mailloux s'achève sur un commencement enfin rendu possible : « Et toute l'écriture qui est qui en découle et qui fait mon décompte et qui est mon décompte. » Le narrateur trouve enfin son compte. Le lecteur aussi. Et le décompte final peut commencer.

Si Hervé Bouchard utilise à fond la science de la fiction, qui carbure ici à pleins gaz, il apparaît surtout comme un remarquable styliste, passant, d'un chapitre à l'autre, d'un genre à l'autre, d'un pseudo dialogue à la narration la plus prosaïque, d'une jouissive énumération à un monologue intérieur d'une perfection rare. C'est peut-être ici que l'auteur sait le mieux manipuler son lecteur, car il le console ainsi de son errance interprétative par la beauté (et la surprise) de récits qui en relancent constamment la lecture. L'auteur pourrait d'ailleurs, à cet égard, reprendre Rimbaud : « J'ai seul la clé de cette parade sauvage. » Et comme Miguel de Cervantes cette fois, qui coiffait de « programmes » chacun des épisodes de l'équipée (au coeur de la fiction) de son Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, ou à la manière d'un Montaigne drolatique qui aurait trop lu Rabelais (à moins que ce ne soit l'inverse!), Bouchard multiplie les « intitulés génériques » de ses micro-fictions, de « Ouverture. Où l'on entend Jacques Mailloux conter sa première échappée; sa mère monstre; son sauvetage à l'aide d'une pelle. Où l'on entend ensuite Jacques Mailloux sur les circonstances de son premier déguisement » à « Chant de novembre et de juin » en passant par « De la manière d'aller chercher quelqu'un avec qui jouer ».

Mailloux est un livre d'apocalypse sur fond de mémoire éclatée, d'identité fracturée, d'enfance recomposée. Une grande hache s'est abattue sur l'Histoire, et le narrateur, un écrivain en puissance, dont la tête a implosé, tente de recoller tant bien que mal les éclats de sa mémoire brisée. Voilà en résumé l'intrigue de ce roman qui abolit toute conception traditionnelle de l'intrigue, qui immerge le lecteur dans un univers littéraire qui évoque bien plus la multiplicité des mondes que cette sorte de néoréalisme paresseux qui pollue la littérature actuelle. D'ores et déjà, après un seul livre, l'on sait que Hervé Bouchard va construire un univers romanesque à l'écart, en lutte contre l'air du temps et les idéologies littéraires, un monde peu habité où seuls logent des atypiques tels Antoine Volodine, Valère Novarina, Éric Chevillard ou Jean-Luc Benoziglio dans ses meilleurs jours. Inventer des histoires lorsque l'Histoire a tout détruit et que l'homme est fait comme un rat, donner tort à Theodor Adorno, qui croyait la poésie et toute fiction impossible après Auschwitz, n'est-ce pas à l'heure actuelle la première tâche de l'écrivain? Samuel Beckett écrivait dans Le Calmant, deuxième de ses trois Nouvelles et Textes pour rien : « Je vais donc me raconter une histoire, je vais donc essayer de me raconter une histoire, pour essayer de me calmer. » Naufragés du verbe et du temps, Bouchard et Mailloux essaient de se raconter des histoires, cherchent à se reconstruire une langue et un univers littéraire à habiter. Ils bricolent avec des mots et des morceaux de souvenirs des personnages et des récits qui finissent par composer quelque chose comme une vie. « Et on attend toute une vie que ça vous fasse une vie » (Beckett, encore!). Ils manipulent créatures du passé et bribes de phrases qui ont survécu à la fin de l'Histoire et en font la matière vivante de leurs récits oraux. À la fois théâtre d'ombres oriental et fête des Fous dans la tradition médiévale (on pense à Brueghel en lisant les récits de Mailloux et en découvrant la cohorte insensée des figures qui peuplent sa mémoire et son histoire), le premier roman de Hervé Bouchard, une fois refermé, laisse en tête un florilège de récits, de noms, de situations, mais aussi, et peut-être même surtout, une langue, un style, un ton, une structure imaginaire, un élan, un rythme. Bouchard a inventé une narration qui lui est propre et a su imposer un imaginaire capricieux, des changements de tonalité, passant du pathétique au grotesque, du réalisme au symbolique, de l'allégorique au mélodrame. Il a su créer un monde. Connaissez-vous beaucoup d'écrivains québécois capables de se vanter d'un tel exploit? »

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La vie devant soi
Par Catherine Morency
, Le Devoir

« Treizième parution des Éditions de l'Effet pourpre, Mailloux ne ressemble à rien de ce que la maison a mis en marché depuis ses récents débuts. En fait, ces histoires racontées par Hervé Bouchard, citoyen de Jonquière, ne ressemblent à rien de ce qui se publie ces années-ci, pas plus en Europe qu'ici.

C'est pourquoi on pénètre dans le roman de Bouchard comme sur une terre totalement vierge, tous les critères de lecture s'y trouvant bouleversés. Construit à partir d'une petite histoire sans grand éclat, à l'envers de ce qu'on appelle aujourd'hui le romanesque, Mailloux raconte l'enfance d'un jeune garçon « de sept » (comme il se plaît à le dire) qui n'affiche aucun signe distinctif sinon le malheur d'être né dans un trou béant d'ennui et de traîner avec lui quelques vices de procédure, dont celui de faire toujours pipi au lit lorsqu'il sera devenu « Mailloux de douze ». Ni récit autobiographique ni roman d'aventures, le premier ouvrage de Bouchard emprunte pourtant aux deux styles des éléments divers, puisant dans des registres connus quelques pistes narratives essentielles à la cohésion d'une oeuvre en prose.

Et si la langue incendiée, vive, débridée d'Hervé Bouchard est certes le véhicule d'une originalité indéniable, la mise en forme de celle-ci impressionne peut-être davantage. Alors que plusieurs auteurs québécois ont fait avant lui le pari de déconstruire la langue française pour la reformuler à leur guise, peu d'entre eux sont arrivés à bâtir échafaudage aussi convaincant. À l'instar d'un Beckett ou d'un Ajar, Hervé Bouchard bouscule syntaxe et lexique, ne conservant que la charpente d'un parler se voulant l'écho de la société paumée dans laquelle évolue Mailloux, tout comme de l'imaginaire touffu qui sert de refuge à ce dernier. « Long de la rivière, Jonquière. Jaune le temps mort d'un baiser à la fille Cavard dans la chaufferie du collège. Jonquière encore. Compléter la liste par des trous d'autres couleurs. L'écriture à boue fait son travail d'embrouille sur Mailloux qui est de c'te merde mon mieux. »

Ainsi, Mailloux s'avère un tour de force et c'est hébétés devant une prise de parole aussi authentique, sans effet de style factice, que nous errons au fil des aventures du petit Jacques, comme prenant part à une quête des plus épiques. Et si les chevaux, les princesses et le Graal sont ici remplacés par de vieux tricycles, des voisines fades aux seins naissants et des explosifs maison fignolés dans des canisses de métal rouillé, c'est que l'oeuvre n'est pas une fable mais bien le parcours initiatique d'un homme de rien, né dans la boue et tentant de se purifier par l'écriture. « Noyade encore à chacun de ses contes de Mailloux Jacques né quand ni où tubant sans respir dans le moi de novembre à juin. Noyade à la noix d'être à la fois Mailloux Jacques et je moi dans les phrases d'écriture à chaque passage de la boue qui est. Mouillade à boue dix-huit d'un noi manuel, éclipsé seul vivant mourant nu dans l'ombre à cache. Vois tous les mots. Vois tous les mots mouilloux, te tromper dans ton tuba long. »

Franche et transparente, l'écriture de Bouchard salit, pue et donne parfois la nausée. Elle est la muse d'un univers boueux, bétonné par l'indigence et le dégoût qu'inspire la société alcoolique, impuissante et inculte dans laquelle tente d'évoluer le personnage emblématique de Jacques Mailloux. Souvent on a tenté d'exorciser le désoeuvrement qui marque au fer rouge trop de jeunes Québécois, en proie à une absence déconcertante de modèles; rarement, toutefois, un auteur de chez nous leur avait donné une voix qui agisse à la fois comme archétype de la misère et comme exemple de survie à cette dernière, par les liens de l'écriture. »

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Le drame de l'enfance
Par David Cantin
, Le Devoir

« C'est une histoire simple mais tout à fait incroyable. Celle de Jacques Mailloux, un enfant qui doit se débattre pour vaincre la peur et l'effroi d'une maladie nerveuse. Cela se passe à Jonquière, lieu qui acquière aussitôt une envergure presque mythique. Mailloux : histoires de novembre et de juin, d'Hervé Bouchard, est un premier livre d'une force stupéfiante. Dès les premiers chapitres, cette langue singulière adopte un ton d'une grande originalité où le romanesque, le dramatique et le poétique ne font qu'un. Une voix qui s'impose déjà dans le paysage parfois timide de la relève littéraire québécoise.

Il y a beaucoup d'excès dans ce texte qui raconte le parcours authentique d'un « fils pissou ». Le jeune Mailloux provient justement d'une descendance « salie et sans gêne dans la tristesse malade de la honte ». Sa vie commence dans la joie confuse d'une excitation mêlée à l'humiliation. À l'école, la détresse anxieuse le suit partout. Il doit se débattre avec son corps, ses pulsions, ses vertiges d'enfant. Parfois, Mailloux prend l'allure d'un monstre incapable de se libérer de ses malheurs quotidiens. Il y a aussi toute une famille qui l'entoure et le gêne dans l'embarras des situations. La mère et le père le surveillent d'ailleurs comme s'il s'agissait d'une bête menaçante. Sans compter les accidents, les morts et les événements horribles qui se multiplient dans ce coin aussi rustique que sauvage du Québec. On reconnaît les signes, dans cette prose étourdissante, d'un jeune écrivain au talent fort prometteur.

Chaque histoire débute comme un conte qui se métamorphose rapidement en quelque chose d'autre. On dirait une prose aux accents poétiques avec, comme titre, quelques indications qui résument l'action à suivre. La langue de Bouchard n'hésite pas à se perdre dans un tourbillon de mots où le rythme de la phrase l'emporte souvent sur le sens véritable. On découvre ainsi un style d'une grande exigence lyrique qui rappelle autant Victor-Lévy Beaulieu que Valère Novarina.

Il ne faut pas reculer devant la noirceur de cet univers où on fait face à une certaine claustrophobie humaine. Certains passages ne cherchent pas à recréer une situation gênante, mais plutôt tout ce qui se passe dans la tête de celui qui l'incarne. De plus, on s'attache au Mailloux incapable de vivre à l'intérieur de ce clan qu'il prend plaisir à énumérer. Cette courte saga est aussi ponctuée de chants, de poèmes et de descriptions héroïques : « Mailloux chaque matin dans un lit mouillé. Mailloux chaque soir au bord d'un précipice. Mailloux chaque matin dans un lit mouillé. Chaque soir et chaque matin de l'enfant Mailloux jusqu'à Mailloux quarante, au bord d'un précipice la nuit tombant dans un lit mouillé au réveil. Dans le noir de chaque nuit essayant de résister au sommeil de Mailloux, créer la nuit blanche peuplée sous le plafond lisse sans rien. C'est de là les histoires à repousse-mort. Vers vingt et une heures éveillé seul à l'agonie Mailloux douze dans un dortoir plein de garçons [...]. »

On lit ce livre comme quelqu'un qui tente de déchiffrer une étrange partition musicale. Il y a une audace sensible dans ce portrait du cauchemar que porte le jeune Mailloux dans son corps comme dans sa tête. Il faut lire cette oeuvre singulière et dérangeante d'Hervé Bouchard. »

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Jacques Mailloux, flot de six, être vu et filer mal
Par Dominique Dussidour


Remue.net, juillet 2006

« « Ça le mettait mal à l'aise, Jacques Mailloux, de se faire regarder de cette façon, mais il faut dire qu'il n'était pas rare du tout qu'il éprouve ce genre de malaise au creux de lui, suffisait de le regarder un peu durement ou avec sérieux pour qu'il se mette à filer mal, tout le poids de la gêne, la grande affiche de l'être, l'entraînant dans le creux de lui où il était seul. »

Mailloux, Histoires de novembre et de juin racontées par Hervé Bouchard (nom de l'auteur), citoyen de Jonquière (c'est au Québec), commence ainsi : « J'ai été Jacques Mailloux, comédien de naissance, enfant sans drame, dehors tout le temps.
Raconte.
Je me suis échappé d'un traîneau. 
»

Le titre de chaque histoire expose ce qui sera raconté. Exemple : « Ouverture. Où l'on entend Jacques Mailloux conter sa première échappée ; sa mère monstre ; son sauvetage à l'aide d'une pelle. Où l'on entend ensuite Jacques Mailloux sur les circonstances de son premier déguisement. » Chapitre suivant : « Où il est dit que Jacques Mailloux reçut en songe les mots qui le font. »

Toute la fougue de raconteur de ce Jacques Mailloux, flot de six, de huit, d'onze et de douze, n'est que tentative de remonter à contre-courant le fleuve d'existence morne, indifférent qui cherche à se débarrasser de ce « pissou », le réengloutir dans l'indifférencié, tentative de surnager par la parole. Non pas « prendre la parole », il y en a, autour de lui, déjà bien trop de ceux (parents, professeurs, camarades, voisins, tantes et oncles...) qui savent « prendre » la parole, ce qui signifie la plupart du temps la confisquer ou se révéler objets soumis à leur propre discours, « pris » (comme la mayonnaise) dans leurs préjugements et leurs conventions. Lui, il a « attrapé la parole » comme on attrape un ballon multicolore rempli d'hélium ou un cerf-volant à quoi on s'accroche, se suspend et espère s'extirper de ce qui colle à la peau et au regard.

« T'es dans l'arbre dans l'ennui d'un juillet du dimanche et c'est la mort. On roulait tantôt, dans un dimanche tantôt d'un même juillet. La chaleur était dans le char et tu regardais tes souliers, surtout l'un. Tu comprenais qu'avoir aussi chaud d'un seul pied, qu'avoir chaud d'un seul pied, qu'avoir plus chaud d'un pied que de l'autre ça voulait dire que ton regard il pouvait produire de la chaleur et que le soleil c'était sûrement un oeil. [...]
Dans l'arbre t'es Jacques de six un dimanche d'ennui de dimanche. C'est la mort dans la chaleur. Seul dans l'arbre Jacques Mailloux, l'imagination morte, les amis de tous les nombres enlevés, les jouets disparus, la joie dans l'arbre plus haut encore, allez. Tu peux souffler dans le tube Jacques Mailloux, vas-y on va rire.
 »

Quelles que soient la beauté du ballon, la taille du cerf-volant, la longueur de leur ficelle, de cette soustraction, cet enlèvement physique à ce qui cerne, même plus tard il restera toujours les sensations du tragique et du ludique, de l'inéluctablement euphorisant de toute équipée, car il le sait aussi, de toute façon nul ne réchappera à la chute : le ballon éclatera, le vent déchirera le cerf-volant, on retombera, parfois dans l'eau.

« Série de noyades.
Noyade à dix-neuf ans d'un oncle Mailloux, que ma mère conte souvent. Noyade à six d'une cousine Mailloux et d'une voisine Biloq de six, attachées l'une à l'autre à la taille à l'aide d'une corde à sauter. Noyade à douze d'une fille Mailloux non contée. Noyade chaque jour de Mailloux Jacques né sans corps dans une mare de boue parlant bouchon par le tube du cesse-respir.
 »

Les « Histoires de novembre et de juin » de Jacques Mailloux font plus que s'extirper du monde d'origine où elles se déroulent et qu'elles décrivent : un père alcoolique, une mère qui met au monde un enfant par an sans s'en soucier plus que de la pluie ou la neige, le foyer familial comme un « dehors » sans plus d'amour que la cour de l'école ou le camp, font plus que déborder de cette sorte de « zone » grise, elles l'illuminent. Non par un processus de sublimation qui transfigurerait ce qui l'entoure (on s'en tiendrait alors à une simple mise au carré ou au cube d'un plan zéro du récit) mais parce que cette parole attrapée au vol des phrases, descriptions, dialogues, énumérations, inventaires, répétitions avec déclics, alternance de la première et de la troisième personne du « singulier », vient faire exploser, éclater cette réalité de façon à la porter sur les rives de la littérature, près de ces immenses et placides pêcheurs au lancer que sont Samuel Beckett [1] et Valère Novarina. En somme, les enfants du creusement et du tourbillon ont déjà pris place dans la grande roue macabre de la faux transparente, l'un d'eux s'appelle Jacques Mailloux.

Le dernier chapitre s'intitule « Finale. Chant des "Quand j'aurai" » :

« Quand le ciel déchargera ses eaux de clous sur la petite ville de tous les mondes, j'aurai fait de Jacques Mailloux le tour qu'il faut.
Quand j'aurai conté la perte de mes mots consécutive au choc d'une Plymouth ayant heurté mon crâne dans un sac,
Quand j'aurai fini de manger les tartes et les pâtés ronds qui m'ont donné le cancer,
Quand j'aurai achevé les vers qui me mangeront,
Quand j'aurai retrouvé mes amygdales en pot,
Quand j'aurai expliqué ma honte en habit bleu et mon retard [...]
 »

Les éditions Le Quartanier publient également le deuxième roman d'Hervé Bouchard, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux et six récits au centre.

Où, à la première personne, ce qui s'ensuit dans la vie de six enfants (L'orphelin de père numéro un, L'orphelin de père numéro deux, etc.), de la veuve Manchée leur mère et de ses six soeurs plus une soeur de trop appelée Rogère, après la mort du père, le père Beaumont.

« Liste des pères que se fit l'orphelin numéro six quand il vécut.
[...] J'en eus un autre que, enfin, s'il avait vécu, je l'aurais pris pour père.
J'eus pour père un trapu gris qui livrait du mazout.
J'eus pour père un religieux déguisé en vendeur d'avions de bois. Je ne pouvais vraiment l'avoir pour père, mais il en avait l'odeur de répugne, et peut-être le retrouverai-je dans quelques ans sur moi.
J'eus pour père un banquier en patins portant sifflet au cou.
[...] J'eus pour père un bleu pâle qui disait : Le théâtre est l'tombeau du rêve et de l'hiver. Le théâtre est l'tombeau du rêve et de l'hiver. Le théâtre est l'tombeau du rêve et de l'hiver. Le théâtre est l'tombeau du rêve et de l'hiver. Le théâtre est l'tombeau du rêver de l'hiver.
 »

[...]

Ces deux romans sans peur ont été publiés en juin 2006 aux éditions Le Quartanier. Si vous-même ou votre libraire êtes en vacances, commandez-les à son, à votre retour et lisez-les en septembre pendant la rentrée dite littéraire, ils vous offriront une juste échelle de comparaison romanesque pour apprécier ce qui paraîtra alors. »
 




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