ACCUEIL

CATALOGUE
SÉRIE QR
POLYGRAPHE
PORC-ÉPIC
ÉCHO ROMAN
ÉCHO POÉSIE
NOVA
OVNI
ERRES ESSAIS
PHACOCHÈRES
LA TABLE DES MATIÈRES

AUTEURS

LE QUARTANIER
MANUSCRITS

OVNI MAGAZINE

BLOGUE QR







+





In Memoriam Joseph Grand
JOCELYN ROBERT

+

Série QR, poésie, printemps 2005, 120 p. — format : 14 × 20,3 cm
17,95 $ / 13 € — ISBN 2-9808122-8-5



EXTRAIT EN PDF



« Par une belle matinée du mois de mai, une élégante amazone parcourait, sur une superbe jument alezane, les allées fleuries du Bois de Boulogne. »

Poème combinatoire, art textuel, In Memoriam Joseph Grand est le livre d'une phrase qui mute.



La phrase de Grand

Le manuscrit trouvé: dans une valise, dans une baignoire, à Saragosse – sous un lit ou au milieu de nulle part –, a généré son lot de récits. Ces manuscrits perdus puis retrouvés semblent toujours le fait de narrateurs prolixes, de romanciers chevronnés. In Memoriam Joseph Grand est l'exception, une sorte de dérisoire anti-Quichotte. Première singularité, le manuscrit est trouvé directement dans un livre – dans La Peste de Camus – avant d'être réellement découvert à l'Hôpital d'Oran, en Algérie, par le professeur David Hannah, spécialiste de Camus de l'Université de Stanford. Ce manuscrit, de Joseph Grand, ne contient qu'une seule phrase. Joseph Grand n'écrira jamais la deuxième, ne la dépassera pas; il épuisera par contre sa langue et sans doute sa sanité à en trouver des variantes. Au final: que la première phrase, transformée de manière de plus en plus outrée, allant de la syntaxe classique au galimatias, passant du récit de «l'amazone» sur son «alezan» à la confession confuse d'un homme laminé, juché dans sa tour de babil. Mort à l'oeuvre, Joseph Grand, employé de l'Hôtel de Ville d'Oran, ne publia rien de son vivant.

Jocelyn Robert, enseignant à Stanford en arts médiatiques, s'est passionné pour le jeu de ce texte, et il livre ici une première édition partielle, contenant les variantes «intelligibles» laissées par Joseph Grand de cette phrase sans suite.


Des matins de Djakarta à la hache du plus fort

Que ce soit dans son travail en art audio ou dans ses installations combinant éléments techniques, technologiques et visuels, Jocelyn Robert s'intéresse entre autres aux processus de traduction et de recontextualisation. Ici, pour son premier livre, il poursuit cette recherche, prenant prétexte du personnage de Camus et de la phrase que celui-ci lui attribue dans son roman. In Memoriam Joseph Grand, de fait, s'il est fiction, l'est périphériquement; le langage lancé dans ses variations comptées semble avoir à coeur de ne laisser advenir aucune cohérence référentielle ou narrative, pour élusivement désigner autant de fictions possibles, ou une seule qui ne serait que permutations des vocables et fugues de sens.

Évoquant les poèmes-processus des auteurs L=A=N=G=U=A=G=E, l'art textuel improbable de Kenneth Goldsmith ou les poèmes combinatoires de Christian Bök, semblant proche par moment de quelque langue impossible à la Kurt Schwitters et ailleurs se désagglutinant et se désagrégeant en bribes balbutiantes, In Memoriam Joseph Grand invente l'aphasie dynamique, la stagnation spiralée, jouant d'une surdétermination formelle mi-figue mi-raisin - qui l'éloigne des oulipiens plus qu'il n'y paraît à première vue. Robert propose une oeuvre d'invagination où l'on va du sens à l'outre-sens en passant par le non-sens, dont la «méthode» de composition elle-même est rapidement visible, et comptable: la lecture a tôt fait d'en repérer le processus élémentaire, qui n'est pas sans lien avec la manière dont les amateurs de mots croisés cherchent le «mot juste», ou de scrabble le mot juteux.

Impassible fugue chiffrée, In Memoriam Joseph Grand est, si l'on veut, le roman d'une phrase sans futur ou l'aveu d'un auteur sans livre. Pas le silence ni la page blanche; pas la parole non plus. Plutôt le langage lui-même qui raconte via un incipit machiniquement recommencé l'échec d'une vie fictive appelée Joseph Grand. Ou la disparition progressive d'une amazone élégante.